Quatre leçons et quelques contre-vérités : retour sur le débat à C ce soir

Après l’émission C ce soir (France 5) du 28 février, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, quatre leçons me semblent devoir être tirées du débat. Aux côtés de Samy Cohen, Emile Ackermann, Martine Gozlan, Danny Trom et Rima Hassan, l’émission s’est essentiellement focalisée sur les conflits politiques en cours au sein de la société juive israélienne, avec en prime un retour sur l’histoire, qui n’a pas manqué de faire réagir.

« Israël : une démocratie à la dérive ? »

À cette question posée par C ce soir, l’ensemble des intervenants était d’accord pour répondre : Netanyahu et ses alliés fascistes ont franchi une ligne rouge dans l’atteinte à la démocratie et doivent à présent faire face à un mouvement de contestation historique. Seuls les porte-paroles officieux et relais de la propagande du Likoud peuvent encore trouver des raisons de ménager les dirigeants israéliens.

C’est la première leçon à retenir : tant par sa composition que par ses actes, le nouveau gouvernement israélien est indéfendable. 

Les échanges sur le plateau ont commencé à se crisper lorsque la critique de la politique israélienne ne s’est plus cantonnée à l’actuel gouvernement et qu’il a fallu revenir sur des évènements historiques, avec notamment la parole de Rima Hassan, réfugiée palestinienne et présidente de l’Observatoire des réfugiés, replaçant le débat et la mise en accusation de la politique israélienne dans une temporalité plus longue. Tout est alors devenu bon pour faire porter la responsabilité de leur sort aux Palestiniens eux-mêmes et préserver, autant que possible, l’histoire du mouvement sioniste et de la création d’Israël de toute faute morale. Quitte à proférer des contre-vérités, comme le sociologue Danny Trom prétendant que l’historien israélien Ilan Pappe reconnait qu’il n’y aurait pas eu en 1947-1948 de plan d’expulsion des Palestiniens préalablement établi. Quiconque a lu Pappe sait qu’il est l’historien qui, depuis ses premiers travaux, démontre précisément l’existence d’un tel plan.

Le même Trom qui ne supporte pas le qualificatif de « colonial » attribué au mouvement sioniste. Rien d’étonnant pourtant à ce qu’un mouvement nationaliste formé en Europe à la fin du XIXe siècle soit imprégné d’une mentalité et de reflexes coloniaux. L’une des premières ruptures au sein de la tendance de gauche du mouvement sioniste en Palestine, au carrefour des années 1919-1920, s’est précisément faite sur ce point : accusant le mouvement (entre autres choses) d’une attitude colonialiste, plusieurs centaines de militants rompent avec les organisations sionistes et forment les bases du premier Parti communiste, avec pour objectif de fonder un parti arabo-juif.

La journaliste Martine Gozlan, de son côté, a cru bon de revenir sur des étapes complexes du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens pour accuser ces derniers d’un prétendu refus constant de tout accord. La plus grande concession des Palestiniens a pourtant consisté à renoncer à la totalité de la Palestine, considérant comme envisageable la création d’un État de Palestine sur seulement 22 % du territoire, avec Jérusalem pour capitale des deux États et respect de la Ligne verte de 1967 comme frontière. À quel moment les dirigeants israéliens ont-ils accepté formellement un tel accord, sans chercher à préserver certaines colonies ou la gestion des zones frontalières stratégiques ?

C’est la deuxième leçon : revenir sur l’histoire polarise le débat et l’affirmation des mêmes poncifs, permettant finalement de ne pas trop s’attarder sur l’actualité à charge contre la politique israélienne.

Car l’actualité, en plus du coup de force de Netanyahu contre les institutions israéliennes, comprend le « pogrom » des colons à Huwara et la multiplication des rapports d’ONG (Yesh Din, B’tselem, Humans Rights Watch, Amnesty International, Al Haq…) accusant Israël du maintien d’un régime d’apartheid. Ce terme fait encore bondir, mais il semble se normaliser dans le débat. Le fait même que certains se sentent obligés d’en parler pour le réfuter prouve que les rapports des ONG se diffusent et progressent. La défense même d’Israël comme une démocratie libérale modèle est de plus en plus complexe. Ainsi, certains concèdent qu’elle n’est pas complète et, comme le politologue Samy Cohen, parlent de « démocratie bancale », quand d’autres, comme Trom, tentent toutes les pirouettes possibles pour séparer la société israélienne de ses colonies et ne pas voir qu’Israël est une « démocratie coloniale ».

C’est la troisième leçon : si personne ne nie la légitimité de l’accès au pouvoir du gouvernement israélien par un processus électoral libre, les règles qui encadrent cet acte démocratique sont désormais plus aisément questionnées, car provenant des mêmes institutions qui légitiment l’oppression coloniale sur des millions d’individus.

« Qui protège les Palestiniens ? Qui rend justice aux Palestiniens ? ». Je persiste à considérer ces deux questions comme désormais centrales dans tout débat qui a trait au Proche-Orient. Chacun est libre de vouloir débattre sur les raisons du refus arabe du partage de la Palestine en 1947, les motivations du mouvement sioniste en 1948, les dynamiques politico-militaires à l’origine de la guerre de 1967, les désaccords entre Israéliens et Palestiniens pendant les presque dix années du « processus de paix »… Mais tout cela ne doit pas noyer les échanges au détriment d’une urgente réalité : les Territoires palestiniens occupés sont colonisés par l’État d’Israël et occupés par l’armée israélienne où, chaque année, des centaines de Palestiniens sont tués sans que quiconque ne soit inquiété pour ces meurtres, tandis que la bande de Gaza est soumise à un blocus israélo-égyptien depuis plus de quinze ans et régulièrement bombardée au détriment du respect des droits humains élémentaires. Cette réalité alimente le désespoir palestinien et explique le recours de certains aux armes considérées comme moyen légitime d’action.

Aborder ces sujets, c’est aussi l’occasion de placer les dirigeants palestiniens face à leurs responsabilités : annulation du processus électoral, Autorité palestinienne décrédibilisée par une dérive autoritaire et une corruption endémique, sentiment des Palestiniens d’être soumis (à des degrés différents) à une double oppression à Gaza comme en Cisjordanie, absence totale de leadership et de renouvellement des cadres politiques, incapacité à réformer l’OLP pour repenser le mouvement national palestinien…

Ces débats devraient aussi permettre de mettre en lumière celles et ceux qui, en Israël, œuvrent pour construire une alternative arabo-juive et considèrent que les manifestations actuelles pour « sauver » la démocratie israélienne n’ont de sens que si leurs revendications s’articulent avec la dénonciation de l’occupation. Le « bloc anti-occupation », que Gozlan et Trom font mine de ne pas voir, est présent dans les cortèges depuis le début et sa présence s’accroît significativement depuis les évènements d’Huwara.

C’est la quatrième et dernière leçon : si nous refusons de voir le plus fort imposer ses lois partout ailleurs dans le monde, alors il doit en aller de même au Proche-Orient. Ce souhait de voir le droit international scrupuleusement appliqué et respecté se trouve au cœur des aspirations de la société civile palestinienne comme de mouvements israéliens qui, à l’instar de Standing Together, ont compris qu’il n’y a d’avenir possible entre Israéliens et Palestiniens qu’en bâtissant des liens et des espaces communs de lutte.

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